Chroniques de l'armoire hantée

Les doigts fins du grand blond se refermèrent sur la clé de bagnole. Et après quelques secondes à peine il était assis face au volant, ceinture bouclée et clé insérée dans le contact. Rotation assistée de l'index et du pouce, et le moteur se lança. L'éveil de la bête. Un léger frisson remonta l'échine de l'assistant. L'espace d'un instant il se demanda s'il n'était pas plus sage d'appeler une ambulance. C'aurait été la meilleure solution pour achever Anfrage. Mais vu que cela ne faisait pas partie de ses plans, il prit son courage à deux mains et plaça son pied au dessus de l'accélérateur.
Il se racla timidement la gorge, le regard fixé sur le bout de la rue au loin.

Veine battante à la tempe, ses mains blanches vinrent enrouler leurs phalanges au volant. Il déglutit.

Il ne s'agissait là que d'un conseil d'ami. Il ne voulait pas se lancer dans un quelconque combat pour la lui faire boucler.
Suite à quoi, il appuya son pied sur l'accélérateur. On aurait pu croire qu'il s'amusait à faire des accouts sur la pédale vus les sauts que la voiture sembla faire en avant -comme si elle était réticente- avant qu'elle ne se lance sur la rue -fort heureusement- dégagée. La caisse roula fluidement sur les quelques dizaines de mètres qui suivirent et Gaël se détendit.
Arrivés à l'angle, le blondinet tourna précautionneusement le volant sur la gauche, pour ne pas brusquer la voiture... Et là, elle s'emballa. La caisse pourrie décrivit un violent virage sur la gauche, bien plus que le 90° nécessaire et c'est en braquant comme un forcené que Gaël réussit à redresser l'engin et éviter de peu le lampadaire, ne faisant que mordre le trottoir sans trop dégâts. Évidemment, les pneus crissèrent d'agonie, mais au moins le véhicule était de nouveau sur la chaussée. Enfin... Le braquage intempestif vers la droite avait envoyé la voiture vers le trottoir d'en face. Le moteur, comme fureur, poussait de foudroyants rugissements de rage tandis que l'assistant exorciste se démenait tant que faire se pouvait avec les pédales et le volant. Un second contre-braquage les remit à nouveau sur la chaussée. Et ce petit jeu de ping-pong dura un long moment.
Trois scalpages de pigeon, une magnifique roulade sur le côté de la part d'un jeune homme, une bonne quinzaine de cris terrorisés, et une grosse poubelle envoyée sur le pare-brise -dont on notait encore quelques traces de salade- plus tard, Gaël réussit à piler net, au prix d'un terrifiant crissement de pneu, devant une petite mamie en train de traverser la rue centimètre après centimètre avec son trotteur.
Les mains crispées comme celles d'un mort sur le volant, Gaël regardait toujours droit devant lui, yeux exorbités, souffle court, et gouttes de sueur au front. Le lourd silence qui venait de tomber venait d'écraser toutes les mouches alentour. Trop sous le choc, le blond ne tenta même de regard à son collègue, et dès que la grand-mère eut terminé sa course de tortue, la voiture redémarra comme une furie.
Et il en fut ainsi jusqu'à ce qu'un ultime crissement d'agonie n'annonce à tout l'hôpital qu'un nouveau patient venait de faire son arrivée fracassante, là, garé en bas, juste devant l'entrée.
A nouveau ce silence de mort, entrecoupé du souffle tétanisé de Gaël. Toujours crispé, sans même bouger d'un millimètre ni détourné son regard de l'avant, il finit par souffler: